Carthage – Joyce Carol Oates

Carthage – Joyce Carol Oates -2014

Pourquoi : Je ne vais pas me répéter, j’ai un faible pour cette auteure, alors quand en  plus le roman est chaudement recommandé par Kitou Lapeyre, on y va !

L’histoire : Cressida, la fille cadette de l’ancien maire est portée disparue. Tout porte à croire que c’est l’ancien fiancé de la soeur ainée qui a trempé plus que les mains dans cette sombre affaire… Oui mais…

Et alors ? Quand on lit le résumé, ‘Un soir de juillet à Carthage, Cressida Mayfield disparait…., on pense se trouver face à un thriller, mais je connais assez la grande dame pour affirmer qu’elle en affectionne les accroches pour accoucher de quelque chose de complètement différent.

Encore une fois, on décortique l’affaire de long en large et bien en travers. Vous voulez de la psychologie, ici on vous sert des portraits justes, détaillés à l’extrême. Comme dans de nombreux écrits de la dame, l’actualité sert de toile de fond. Ici nous sommes aux lendemains des attentats et donc au début de la guerre en Afghanistan et son lot de jeunes hommes partis s’engager pour défendre leur patrie. Le portrait de Brett, héros brisé, défiguré est édifiant.

Carthage est un bon cru, malgré un milieu qui tire vraiment en longueur.

La fin est surprenante, elle m’a bousculée, heurtée dans le sens où je n’étais pas vraiment en accord avec un personnage ; mais Joyce n’est pas là pour vous servir la fin attendue qui conviendra à tous, elle peint des portraits avec leurs failles et parfois leurs choix déroutants.

Les toutes dernières pages sont troublantes.

En bref : Oates observe avec minutie et ausculte les troubles des Etats-Unis.

 

Petit Pays – Gaël Faye

Petit pays – Gaël Faye – 2016

Pourquoi ? Parce que j’ai souvent trouvé mon bonheur dans les prix Goncourt des lycéens et que deux, trois avis m’ont poussée à la lecture. A mon tour d’aller faire un tour dans ce petit pays !

L’histoire : Gabriel est en France depuis vingt ans déjà, exilé de son petit pays. Son petit pays, c’est le Burundi qu’il a dû quitter brutalement pour sa survie. Il revient sur sa douce enfance et sur la genèse d’une barbarie inhumaine.

Et alors ? Petit pays, c’est aussi un petit roman à peine 200 pages, mais costaud sur pas mal de points. Il m’a remis en mémoire une tranche d’histoire récente (vingt ans sur une frise historique c’est un grain de poussière.) : la guerre civile qui s’est emparée du Burundi et a bousillé toute une population parce qu’une ethnie voulait prendre l’avantage sur l’autre.

L’aspect historique et politique est vu par un enfant qui tente de comprendre le monde des adultes. Par la naïveté du jeune Gaby s’extrait toute l’absurdité du conflit. Une histoire de nez agite deux ethnies, veut expliquer le père de Gabriel, mais le petit garçon a vite saisi que Le fond de l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait, on pouvait le sentir.

J’ai trouvé les premières pages magnifiques. L’humeur sombre de Gabriel, un expatrié cherchant encore sa place qui ne se fond pas avec facilité à la vie parisienne, mais s’en accommode.

Les souvenirs de bonheur passé occupe une large place dans le roman. L’arrivée de la guerre civile est distillée entre deux douceurs.

Le style est délicat, simple. Peu de violence, l’auteur épargne au lecteur de la barbarie des génocides, même si quelques passages (sans aller trop loin dans l’horreur.) sont glaçants.

Allez maintenant je vais juste soulever mon petit bémol. Peut-être que j’en ai trop attendu ? Mais malgré les grandes qualités du roman, j’avais l’impression d’être sur un chemin balisé. La nostalgie heureuse de l’enfance, les bons copains, les petites anecdotes sympas, la montée progressive du conflit, la découverte de la passion salvatrice… Bon c’est juste un ressenti….

En bref : Un roman qui mérite d’être entre toutes les mains.

Extraits : 

Ma peau caramel est souvent sommée de montrer patte blanche en déclinant son pedigree.

A coup sûr, un pauvre gars avait voulu faire son intéressant après avoir regardé un film de Clint Eastwood, un après-midi, au ciné Caméo, et en un rien de temps cette mode s’était propagée dans toute la ville comme une traînée de poudre. A Bujumbura, il y a deux choses qui vont vite, la rumeur et la mode.

Je trouvais le silence bien plus angoissant que le bruit des coups de feu. le silence fomente des violences à l’arme blanche et des intrusions nocturnes qu’on ne sent pas venir à soi.

Des morts, des vivants – Frédéric Soulier

(5 / 5)

Pourquoi ? Alors au début ce n’était pas gagné que je lise Des morts, des vivants. Sur le groupe de lecture Accro aux livres, je rencontrais un énergumène qui faisait la promotion de ce que je pensais être une énième histoire de zombies. C’est en découvrant sa prose au détour de quelques articles et après avoir lu deux de ces nouvelles, que je me suis lancée dans la lecture….

L’histoire : Nous faisons un saut dans le temps pour nous retrouver dans les ruines de notre monde, ravagé par ce que nos croyances et notre soif de pouvoir font de pire. Les rôles ont changé, l’Europe ciblée par la bombe Beyoncé (oui oui, ici Queen B est radioactive au premier sens du terme.) cherche à fuir, les bombardements, la répression et les morts-vivants.

Et alors ? Assez admirative, puisque l’auteur se sert d’un sujet surexploité (la contamination à grande échelle.) pour te livrer une oeuvre des plus originales. On laisse de côté le trait d’union, ici on parle des morts et des vivants, et surtout de l’âme humaine malmenée face à des situations extrêmes.

Beaucoup de force sont dans le roman. Il y a tout d’abord une résonance avec notre monde d’aujourd’hui… Mis à part les zombies (qui ne sont au final pas le point central de l’histoire.) la vision d’un futur plausible fait froid dans le dos. La religion qui nourrit la guerre qui engendre une barbarie admise. On est à se demander qui est réellement contaminé, les morts qui reviennent à la vie ou ces miliciens qui instaurent de nouvelles lois.

L’autre puissance c’est le style. Pip le narrateur parle une sorte de patois qui mélange différents registres de langues avec quelques mots volontairement déformés (nirlandais, prosquimité, abondasif, .) Certains lecteurs peuvent en être déroutés, d’autres embarqués, comme je l’ai été. Je suis allée au Cratère, dans ce camp de réfugiés, ils fuient la guerre, veulent échapper aux zombies, ils sont rassemblés dans la crasse, au milieu des mouches, confrontés aux maladies (la gale), à la famine et à ce qu’ils considèrent comme le pire …. l’ennui.

En bref : C’est une vision noire, révoltante d’un futur qu’on ne veut pas, une histoire de fuite et de quête d’un monde meilleur. Mais c’est aussi un petit bijou qui malmène la langue française pour en sortir le meilleur. Je recommande tout simplement.

Pour trouver Des morts, des vivants :

https://www.amazon.fr/morts-vivants-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Soulier-ebook/dp/B06XWY3TQ6

Pour les récalcitrants d’Amazon, vous avez plein de moyens de vous procurer du Soulier  https://fredericsoulier.wixsite.com/auteurindependant

Et puis pour vous donner envie : une interview de Pip le Clou, le narrateur du roman :

En tête à tête avec un personnage de roman – Philippe Lacroix personnage de « Des morts des vivants » de Frédéric Soulier

Extraits :

Au Cratère se parlait un drôle de langage, mélange d’argot, d’interjections, d’élision et d’emprunts altérés aux diverses langues parlées par les habitants. C’était un sabir que je vous retranscris pas à l’identique, et dont je me contente de vus faire goûter le sel.

Depuis bientôt six mois, les candidats à l’émigration ne passaient plus en Tunisie qu’en perfusion. Les gardes côtes reconvertis en impitoyable cerbères chassaient sans répit les réfugiés. Conséquence, le camp Agira, enflait, faisait de la rétention.

Mais pour un homme qui a perdu toute sa famille en un instant, le dico se déclare incompétent.