Débâcle – Lize Spit

Débâcle- Lize Spit – 2018

Pourquoi ? Qui a envie de découvrir un phénomène littéraire belge au style percutant, mais avec une histoire qui vous fout mal à l’aise ? Ben moi… Alors quand on demande qui veut s’inscrire sur la route du roman en question devenu voyageur, il m’a semblé évident que Débâcle allait faire étape dans le Nord. Merci Cat pour l’idée !

L’histoire : En 1988, il n’y a eu que trois naissances dans un petit  village flamand. Eva, Pims et Laurens sont seuls d’une classe d’âge et se font surnommés les trois mousquetaires.  Eva raconte la relation exclusive, douteuse, qu’elle entretient avec les deux autres ; amis par défaut qu’elle n’a pas vraiment pas choisi. Elle n’a pas non plus choisi sa famille, pas vraiment gâtée qu’elle est la gamine, entre des parents sinistres et une soeur malmenée par une maladie mentale.

Et alors ? Je me doutais que la lecture n’allait en rien être une sucrerie. L’auteure nous décrit avec une tranquillité effrayante le quotidien de ses personnages. On flirte avec la violence,  non physique dans un premier temps – alcoolisme, tentative de suicide- avant de monter crescendo avec une scène finale dérangeante. L’histoire a beau basculer, l’auteure garde une plume froide, distante, et j’ai trouvé parfois moqueuse. Lize Spit est dans la tête d’Eva dont le seul bouclier dans la vie est le détachement, alors le roman a beau brûler ; colère, fureur, tristesse sont voilés. En revanche point de voile sur ces choses qu’on préfère cacher : masturbation et premiers émois érotiques sont ici exposés de façon frontale.

Le livre en tant objet peut paraitre racoleur avec en visuel une enfant dans un état comateux, une cigarette à la main, et en résumé, l’histoire d’un groupe d’ados jouant à quelques jeux scabreux dont le but est de pousser des jeunes filles à se déshabiller. Alors oui je suis d’accord, le roman ne vend pas du rêve, on est sur des terres où tout pousse de travers, mais il est dommage de passer à côté de la relation entre Eva et sa soeur Tessie, qui pour moi pèse très lourd dans l’histoire.

Au niveau de la construction, on retrouve un balai passé-présent qui prédit dès le départ que tout est parti en vrille et que le futur s’annonce gris. Nous avons aussi des chapitres à thèmes, avec quelques longueurs certes, mais qui permettent de tisser un roman glaçant, hors norme.

En bref : J’ai aimé, mais on ressort un peu poisseux, comme trempé dans un bain où macère ce que l’humain rejette de pire.

 

Le rêve dévoré – Jo Rouxinol

Le rêve dévoré – Jo Rouxinol – 2018

Pourquoi ? Parce que le roman m’a été ‘vendu’ des étoiles plein les yeux par quelqu’un qui se reconnaitra.

L’histoire : Clarisse est une ado, un cas à problèmes, qui chahute la vie de ses professeurs et de ses parents. Elle répond à l’incompréhension des adultes qui l’entourent par la violence. Son seul refuge, une relation virtuelle avec un certain Sergio…

Et alors ?

Ce n’est pas un livre à suspens, et pourtant il y a du rythme. Quelques flash back annoncent la cicatrice de Clarisse, celle qui suinte quand elle ne peut plus réprimer sa fureur.

Ce n’est pas non plus une romance, et pourtant de l’amour, de la déraison il y en a. Avec, je trouve, un risque, un contre courant pris par l’auteure que je salue.

Ce n’est pas non plus un road trip. Même si on voyage et que le Portugal s’inscrira dans vos envies d’évasion.

Le rêve dévoré ne rentrera pas dans une case, mais sautera à pieds joints dans plusieurs.

J’ai retrouvé la plume confortable de Jo, entre douceur et mots qui frappent. Ici encore, elle utilise la narration à la première personne, comme elle l’avait fait pour Le carnaval des illusions. On est dans la tête de Clarisse, ses réactions imprévisibles, tranchées, brutales.

J’ai simplement trouvé que les deux personnages principaux mettaient du temps à percer leur bulle paradisiaque. C’est juste un détail, et leur destin fissuré explique sans doute la distance qu’ils mettent avec le monde des adultes.

En bref : C’est l’histoire d’une parenthèse enchantée, rongée par la réalité. Elégant et brutal.

Extraits : 

Ma vie se résume à ça, des adultes qui parlent de moi, qui veulent me faire entendre raison, me pousser dans les rangs […] c’est bien, on ne te distingue presque plus au milieu de la foule, bravo ma fille, dissous-toi, dilue-toi.

La Baixa est un quartier relativement récent, comme le montre son tracé géométrique qui résulte d’une volonté délibérée, toute politique, plutôt que d’une histoire séculaire.

Je refusais tout passage à l’écrit. Noircir des pages me coûtait, tracer des lettres était une tâche laborieuse, fastidieuse et surtout parfaitement inutile.

Les loyautés – Delphine de Vigan

Les loyautés – Delphine de Vigan – 2018

Pourquoi ? Parce que j’aime bien le style de la dame, même si la lecture achevée, il faut se réinjecter une bonne dose de pensées vivifiantes pour revoir la vie en couleurs. Vous l’aurez compris, le roman épongera votre côté sombre ou vous y plongera complètement.

L’histoire : Une palette de personnages, deux ados qui s’essaient à l’alcoolisme, une enseignante à l’affût des signes de mal être d’un de ces élèves et une mère de famille dont l’esprit présente quelques petites anomalies.

Et alors ? Le style De Vigan, c’est tout doux et confortable brassé avec grande tristesse. La lecture est rapide, 200 pages bien aérées, avec une histoire qui pousse à tourner les pages. Certains lecteurs diront que c’est trop court (n’est-ce pas Emilie ?). Personnellement, j’aurais pu connaitre quelques difficulté à être plongée trop longtemps dans cette ambiance où chaque personnage a envie de tout laisser couler.

Jo Rouxinol, en parlant de sa lecture, avouait avoir retenu sa respiration par peur du faire du bruit, je la comprends. Un éventail de mots choisis, des formulations poétiques et on a presque l’impression de flotter ou d’être en apnée, c’est selon.

Je ne peux pas le cacher, c’est mon caractère, j’aurais bien secoué certains personnages.  Ils nagent dans leur mal-être en tournant en rond et il ne manquait plus que je renverse le bocal. Cette remarque ne concerne pas les ados, victimes des adultes qui leur trace un chemin tout droit vers la déprime. On comprend mieux ces deux jeunes qui brouillent leur réalité en buvant.

Ce sont des tranches de vie malheureuses, un résultat de beaucoup de choses qui auraient pu être évitées. Nous arrivons quand plus grand chose ne semble pouvoir être sauvée.

Alors vous allez me dire, mais t’es bien abattue après cette lecture ? Oui un peu, même si je peux dire que j’aie aimé Les Loyautés.

En bref : C’est presque un état des lieux poétique d’une somme de désillusions et de grandes claques.

Extraits :

Très vite, Théo a appris à jouer le rôle qu’on attendait de lui. Mots délivrés au compte-gouttes, expression neutre, regard baissé. Ne pas donner prise. Des deux côtés de la frontière, le silence s’est imposé comme la meilleure posture, la moins périlleuse.

Un soir, le journal télévisé a diffusé un reportage sur une marée noire provoquée par un accident de pétrolier. […] et j’ai aussitôt pensé à nous tous, ces images nous représentaient mieux que n’importe quelle photo de famille. C’était nous, c’étaient nos corps noirs et huileux, privés de mouvement.