Les larmes noires sur la terre – Sandrine Colette

Les larmes noires sur la terre – Sandrine Collette – 2017

Pourquoi ? Parce que je l’aime bien la Sandrine Collette…. alors je progresse dans la lecture de ses romans, et c’est au tour des Larmes noires sur la terre.

L’histoire : Dans un futur proche, Moe a quitté une île paradisiaque pour la vie parisienne. Sauf qu’elle n’a pas misé sur le bon partenaire ; entichée qu’elle est avec un homme brutal et alcoolique. Elle réussit tout de même à prendre le large, avec son bébé dans les bras… mais c’est pour mieux retomber encore plus bas. Elle est emmenée par les services sociaux pour être logée dans la casse.

Et alors ? Glaçant cette casse où sont parqués tout ce que la société a décrété comme rebut. Une solution pour la sérénité des uns, une voie sans issue pour les mal lotis, qui créent leur micro-société dans cette prison en plein air.

Quand Moe débarque dans la casse et rencontre les cinq femmes qui vont devenir ses protectrices, j’ai eu quelques difficultés à me les représenter, cinq personnages nouveaux, et à mon avis trop vite balayé. Heureusement, la suite du livre donne la parole à ces destins manqués.

J’ai beaucoup aimé le roman, même s’il manque un je ne sais quoi pour le rendre peut-être plus percutant et dérangeant. Je n’adhère pas toujours au voyeurisme et à la surenchère, mais ici, il manque peut-être cette noirceur crasse pour que le roman colle un peu plus à la peau. L’auteure laisse sans doute le lecteur le choix de se représenter ou non l’insoutenable.

Quelques phrases à rallonge viennent caresser le style brut de l’auteure. Sandrine Collette se peaufine… Elle est, à mon avis, à deux doigts de nous délivrer un chef-d’oeuvre.

A bientôt pour une nouvelle lecture.

En bref : Noirceur accessible pour une mise en lumière d’une société qui rejette les gens secourables.

Extraits :

Personne ne lui a demandé de raconter. Passé le premier réflexe, quand les filles ont vu l’effroi sur son visage et les larmes noires dans la terre, elles se sont tues.

[…] est-ce que ce n’est pas ce qu’elles se disent pour tenir les jours de chagrin, les petits jours, elles les appellent, avant que la dureté de l’existence les remette en avant pour de bon, et qu’elles tendent les mains pour se les claquer entre elles comme un salut en retour, je suis là tout va bien.

 

A(i)mer – Odehia Nadaco

A(i)mer Odehia Nadaco 2018

Pourquoi ? Parce que j’avais goûté à  Knysna et dans mon retour, je regrettais de rester sur ma faim. Selon moi, le personnage principal Hilton méritait un passé plus étoffé. Il y a quelques semaines sortait A(i)mer préquel de Knysna…. Je me devais donc de connaitre comment l’auteure avait continué d’enrober son personnage…

L’histoire : Un matin, Hilton est réveillé par les fantômes du passé, bien trop menaçants et musclés pour passer au travers. Son meilleur ami se retrouve alors en danger de mort, les souvenirs en profitent pour refaire surface avec violence. Avec ce sacré lot d’emmerdes se profile l’inévitable confrontation avec la famille d’Hilton, qui vous le comprenez, n’est pas forcément la meilleure alliée pour une vie sereine.

Et alors ? C’est un roman troublant. Une histoire qui ne délivre pas tout, à la différence de quelques scènes brutales qui ne vous épargne aucun détail.

A(i)mer, c’est la vie d’un marginal dans l’âme  qui paie au prix fort son indépendance ; il avait tout pour se dorer la pilule au soleil, mais Hilton préfère rester à l’ombre de la fortune familiale… Hilton, justement, à l’image du roman, il n’est pas formaté pour plaire au plus grand nombre. A(i)mer n’amène pas le lecteur là où il pense aller. On croit dans les premières pages se retrouver plongé dans un thriller, avec ce sévère coup de poing dans le premier tiers. Je m’attendais à une suite déchainée … Non. Même si le reste du roman donne la part belle à quelques scènes d’actions nerveuses, sont largement décrits ces souvenirs toxiques, drapés d’une ambiance parfois comateuse quand il s’agit de traiter de la dépendance d’Hilton aux médocs et aux drogues. Et cette histoire d’amour qui s’entremêle…

Odehia Nadaco a ce talent de balayer des genres différents tout en évitant les clichés, les phrases toutes faites.

Le passage qui m’a le plus touchée est celui qui amène la violente finalité du roman. Il s’agit du regard jeté par un ancien camarade de classe à Hilton. Comprendront ceux qui l’ont lu.

Le petit défaut pour moi, c’est ce passé, présent entrecroisés auxquels il faut parfois un léger effort pour se raccrocher. En même temps, je pense pas que l’intention de l’auteure soit de délivrer du tout cuit. J’aurais aussi aimé passer un peu plus de temps au Château, que cet endroit prenne encore davantage de place encore dans l’histoire …

En bref : Noir et brutal, un roman qui ne répond pas aux codes, tout en les respectant.

Extraits :

La nuit arriva vite et le froid l’avait rapidement gagné. Quelques frissons d’abord, de ceux qui accompagnent un changement brusque de température, puis le froid pénétrant, celui qui glace jusqu’aux os. Des chaussettes. Si on lui avait demandé ce qu’il voulait à ce moment précis, seule sa paire de chaussettes lui serait venue à l’esprit.

Ce soir, les filles nous proposent de nous emmener au Château. Nous voilà ainsi partis pour passer à l’abri des regards, dans cette maison bourgeoise qui a bien l’aspect d’un château, avec ses espèces de tourelles, son parc arboré, derrière lequel elle se cache aux yeux de tous.

Il explosa intérieurement, retint gonds, serrures et portes complètes.

 

 

Les couleurs de l’incendie – Pierre Lemaitre

avis, retour sur le roman de Pierre Lemaitre
Couleurs de l’incendie – Pierre Lemaitre -2018

Pourquoi ? Rien que le titre me parle… Alors comme en plus je suis loin d’être indifférente à ce que nous concocte l’auteur, il me brûlait de lire son nouvel ouvrage. Allons-y !

L’histoire : Cette suite indépendante  (point de souci de compréhension si vous n’avez pas lu Au revoir là-haut.) ouvre le bal avec l’enterrement du patriarche de la famille Péricourt. Funeste moment qui conduit à un autre. Le fils de Madeleine se jette du haut de la fenêtre. Suite à la chute du garçon et à la trahison des personnes les entourant, la vie de Madeleine et Paul bascule. Une fois au plus bas, cette femme seule orchestre avec brio sa vengeance pour éliminer les ambitions de ceux qui ont voulu la briser.

Et alors ? C’est l’histoire d’une vengeance à grande échelle. Mère et fils dégringolent de plusieurs étages, l’un concrètement, l’autre de façon abstraite, mais une fois à terre, la remontée sera rude. C’est sans compter l’aide voulue ou contrainte d’une belle palette de personnages secondaires et de l’ingéniosité d’une femme à qui on a tout pris.

Alors, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère pour faire de ce règlement de compte quelque chose de spectaculaire. Bon j’avoue que je ne sais pas si tout était vraiment réalisable à l’époque, mais même si c’est un peu chargé parfois, j’ai choisi de prendre du plaisir.

Ce que j’aime avec Pierre Lemaitre c’est qu’il utilise les ingrédients qui rassemblent, (histoire de famille, de pouvoir et vengeance.) avec un style soigné. Même si j’ai dit au dessus que c’était un peu gros, ce n’est pas grotesque ; chaque situation est étudiée, amenée savamment avec tout le talent de conteur qu’on connait à l’auteur. Lemaitre prend son temps pour planter le décor, il nous installe dans la fin des années 20, astique ses personnages, brosse les situations et offre même quelques touches historiques en filigrane. (Krach boursier, montée en puissance d’un certain Hitler.)

Des reproches… peu…. Un essoufflement vers la fin que j’imaginais peut-être autre… Quant aux personnages secondaires, ils sont à mon avis, un peu excessifs, lorgnant vers la caricature, même s’ils soufflent un vent léger sur les histoires de corruption et de soif du pouvoir qui jalonnent le roman.

En bref : Un roman captivant et soigné.

Extraits : 

-Vous publiez sciemment des informations mensongères…

-Pas mensongères, là, vous allez trop loin ! Non, nous présentons la réalité sous un certain jour voilà tout. D’autres confères, dans l’opposition par exemple, écrivent l’inverse, ce qui fait que tout s’équilibre ! C’est la pluralité de point de vue.

Robert était purement instinctif. Capable de penser, mais pas longtemps. Anticiper au delà de la semaine lui avait toujours été difficile. Cette incapacité à imaginer les perspectives avait fait de lui un jouisseur.

Elle ne marchait pas, elle ondulait. Rue Saint Honoré, elle dépensa en deux heures le salaire de dix ouvriers. Pour Dupré, c’était l’échelle de valeurs, le salaire d’un ouvrier. Il n’était pas difficile de savoir ce qu’elle faisait avec son mari, l’ancien fondé de pouvoir de la banque Péricourt, elle siphonnait sa fortune.

Pactum Salis – Olivier Bourdeaux

Pactum salis – Olivier Bourdeaut – 2018

Pourquoi ? Parce que j’avais bien accroché à son premier roman En attendant Bojangles et puis comme mes beaux-parents m’ont offert Pactum Salis, c’était le moment de voir ce que donnait le deuxième roman de cet auteur prometteur….

L’histoire : Deux personnages, un agent immobilier aux dents longues et un paludier solitaire, se retrouvent liés suite à un épisode malencontreux.

Et alors ? Oupps je n’ai pas accroché…. Alors pourquoi je me le demande encore, les qualités d’écriture sont là, et me retrouvée dans les marais salants étaient une perspective qui m’enchantait.

J’ai tout de même une petite ébauche d’explication : le roman verse dans la littérature dans les premières pages avec des descriptions réussies aussi bien pour les paysages des marais salants de Guérande que pour ses personnages, avant de basculer dans une sorte de caricature avec des protagonistes hauts en couleur et des situations un peu tirées par les cheveux. J’avoue que j’ai une préférence pour la nuance plutôt que le côté excessif des choses, mais si c’est bien mené je m’adapte. Ici, aucune attache ne s’est développée pour les personnages, ce qui a provoqué très rapidement un sérieux ennui.  Des dialogues théâtraux bien ficelés, mais je me suis demandé ce qu’ils faisaient là. Et quand au beau milieu du roman on trouve un cadavre, j’ai lâché prise, parce que je me suis rendue compte que je n’avais même pas envie de savoir qui était mort, à cause de qui et pourquoi.

En bref : Un roman qui a de grandes qualités mais qui voulait peut-être prétendre à trop de choses en même temps ?

Extraits :

Cette distance avait toujours suscité un intérêt chez les filles, elles mettaient cet éloignement sur le compte d’une touchante timidité teintée d’un certain romantisme. Le romantisme du cavalier solitaire. Elles venaient nombreuses et repartaient dès qu’elles comprenaient qu’il fréquentait une banale calculatrice.

Les effets cumulés du soleil sur sa peau et de l’acidité du vin blanc sur son cerveau avaient produit une manière de transe qui alimentait des souvenirs bégayants et un regard flottant.

Les loyautés – Delphine de Vigan

Les loyautés – Delphine de Vigan – 2018

Pourquoi ? Parce que j’aime bien le style de la dame, même si la lecture achevée, il faut se réinjecter une bonne dose de pensées vivifiantes pour revoir la vie en couleurs. Vous l’aurez compris, le roman épongera votre côté sombre ou vous y plongera complètement.

L’histoire : Une palette de personnages, deux ados qui s’essaient à l’alcoolisme, une enseignante à l’affût des signes de mal être d’un de ces élèves et une mère de famille dont l’esprit présente quelques petites anomalies.

Et alors ? Le style De Vigan, c’est tout doux et confortable brassé avec grande tristesse. La lecture est rapide, 200 pages bien aérées, avec une histoire qui pousse à tourner les pages. Certains lecteurs diront que c’est trop court (n’est-ce pas Emilie ?). Personnellement, j’aurais pu connaitre quelques difficulté à être plongée trop longtemps dans cette ambiance où chaque personnage a envie de tout laisser couler.

Jo Rouxinol, en parlant de sa lecture, avouait avoir retenu sa respiration par peur du faire du bruit, je la comprends. Un éventail de mots choisis, des formulations poétiques et on a presque l’impression de flotter ou d’être en apnée, c’est selon.

Je ne peux pas le cacher, c’est mon caractère, j’aurais bien secoué certains personnages.  Ils nagent dans leur mal-être en tournant en rond et il ne manquait plus que je renverse le bocal. Cette remarque ne concerne pas les ados, victimes des adultes qui leur trace un chemin tout droit vers la déprime. On comprend mieux ces deux jeunes qui brouillent leur réalité en buvant.

Ce sont des tranches de vie malheureuses, un résultat de beaucoup de choses qui auraient pu être évitées. Nous arrivons quand plus grand chose ne semble pouvoir être sauvée.

Alors vous allez me dire, mais t’es bien abattue après cette lecture ? Oui un peu, même si je peux dire que j’aie aimé Les Loyautés.

En bref : C’est presque un état des lieux poétique d’une somme de désillusions et de grandes claques.

Extraits :

Très vite, Théo a appris à jouer le rôle qu’on attendait de lui. Mots délivrés au compte-gouttes, expression neutre, regard baissé. Ne pas donner prise. Des deux côtés de la frontière, le silence s’est imposé comme la meilleure posture, la moins périlleuse.

Un soir, le journal télévisé a diffusé un reportage sur une marée noire provoquée par un accident de pétrolier. […] et j’ai aussitôt pensé à nous tous, ces images nous représentaient mieux que n’importe quelle photo de famille. C’était nous, c’étaient nos corps noirs et huileux, privés de mouvement.

Des femmes comme s’il en pleuvait – Valentine Day

Des femmes comme s’il en pleuvait.

Pourquoi ? Parce que je venais de finir Les loyautés de Delphine de Vigan et donc un grand besoin de faire le grand écart. (Côté lecture on s’entend bien.) Un roman feel good ? Pas vraiment mon style, mais une série de nouvelles alliant sexe, alcool et humour noir, c’était pour moi.

L’histoire : Mais que trouve t-on dans ce recueil ?  Une auteure isolée qui se voit séduite par son adorable et jeune voisin. Une femme mature qui s’occupe d’éduquer sexuellement un adorable et jeune homme. (Eh oui il y a du jeune et de l’adorable!) Une enseignante blasée qui profite de ses vacances à DuBaï pour s’aérer l’esprit et l’entre-jambe. Une jeune fille qui  tire profit de la faiblesse des hommes pour les faire chanter.

Et alors ? Valentine Day est la comparse d’une auteure que j’affectionne tout particulièrement Condie Raïs. Elles avaient écrit Meneater en duo (Retour par ici) et j’étais assez impatiente de voir ce que donnait l’auteure en solitaire. Alors j’avoue que la première nouvelle m’a un peu laissée sur ma faim. J’avais l’impression de retrouver un personnage sorti tout droit de l’esprit de Condie, femme seule, auteure de romance clichée, avec vin blanc comme boisson principale et une affection toute particulière pour les chats. Un côté terrain connu revisité. J’attendais autre chose.

De ce recueil, la nouvelle, selon moi, qui sort du lot est Les Frasques de Juliette. C’est noir à souhait,  et je ne sais pas si c’est vendeur, mais j’ai pensé plusieurs fois, mais c’est barge avec un sourire satisfait. Valentine ne va pas dans le grand public, j’en suis consciente, elle en est consciente.

Et vous allez évidemment me demander celle qui fait monter le plus la température : L’éducation d’Hadrien. Parce qu’on y va gaiement en tout simplicité.

L’érotisme est mis en second plan, il y a un côté très froid qui souffle sur ces quelques scènes chaudes. La férocité et l’absence de sentiment masquent la sensualité et malgré quelques happy-end sur certaines nouvelles, il y a un refus de l’idéal, un fatalisme.

En bref : Un érotisme malmené par un ton grinçant.

 

Qui veut la peau de Nestor Boyaux – Lucius Von Lucius

Qui veut la peau de Nestor Boyaux – Luc Doyelle

Pourquoi ? Il y en a un qu’on ne peut pas louper dans la sphère des auteurs indé : c’est Lucius. Il dégaine deux choses : jeux de mots et extraits des meilleurs morceaux d’Ennio Morricone. Nous laisserons aujourd’hui de côté le talentueux compositeur italien pour évoquer la passion de Lucius pour les mots :  ses rébus, calembours ou devinettes loufoques sont parfois mon premier triturage de méninges du matin… Enfin bref… Lucius est aussi auteur et puisqu’à priori tout le monde a déjà fait la connaissance de son mort-vivant, moi je me suis penchée sur Nestor Boyaux.

L’histoire : Lucius se met en scène. Ecrivain en mal d’inspiration, il se rapproche de son ami de toujours, le fameux Nestor Boyaux, pour redonner en quelque sorte de l’essence à ses écrits. Nestor travaille dans le crime et pour Lucius qui tente une percée dans le polar, c’est une belle aubaine…. Oui mais tout part rapidement de travers, car avant même que la première ligne ne soit écrite, le cadavre de Nestor est retrouvé et le principal suspect, je vous le donne en mille : notre Lucius. Maintenant pour lui, la seule solution c’est la fuite.

Et alors ? Je ne vais pas cacher que j’ai eu quelques appréhensions quant à une présence trop importante de calembours au détriment d’une histoire. Alors évidemment il y a des jeux de mots; des expressions détournées, c’est loufoque, mais ce n’est pas du grand n’importe quoi. L’humour est là pour assaisonner un road movie haut en couleur. J’ai lu ce roman avec le sourire, l’attention en alerte pour ne pas manquer une finesse. L’ennuie ne m’a pas une seule fois effleurée. Le rythme est rapide, mais cela ne veut pas dire que la qualité de l’écriture est écartée. Et ça c’est un gros bon point.

Dans cette histoire rocambolesque, on trouve beaucoup d’éléments autobiographiques. Alors vous allez me dire normal, c’est un peu une auto fiction à la sauce humour. Pas faux ! De l’humour, oui il y en a, mais je ne pense pas me tromper en assurant que ce roman a pu germer grâce à une angoisse de l’auteur…

En bref : Une parenthèse rocambolesque qui fait du bien.

Extraits :

Il commençait à me plaire le père Nestor. Il faut avouer qu’il me pratiquait depuis quelques décennies, et savait pertinemment par quel bout me tendre la carotte.

Pour l’heure, elle veillait au grain, non de sable, mais de blé. Je devais l’approvisionner en munitions, sans quoi le combat tournerait à l’avantage des gros bonnets de l’édition.

De guerre exténuée, nous avons bricolé un alambic, mais le lait de brebis ne contient pas suffisamment de sucre. Notre eau de vie de brebis n’attire pas les foules, d’autant que l’odeur nauséabonde qui accompagne la distillation ne plaide pas en notre faveur. Le directeur nous a même octroyé une semaine d’isolement pour nous faire passer le goût des expériences.

Pour le trouver :

https://www.amazon.fr/dp/B071J9259W/ref=dp-kindle-redirect?_encoding=UTF8&btkr=1

Ceux qui ne renonçaient pas – Luca Tahtieazym

Ceux qui ne renonçaient pas – Luca Tahtieazym – 2018

Pourquoi ? Auteur indé remarqué pour sa tendance à réaliser des photo-montages qui mettait ses couvertures de roman en haut de l’affiche. Une façon de retenir son nom (chose pas forcément aisée.) mais qui ne m’a non plus emballée au premier abord. Je le voyais comme un auteur qui voulait en mettre plein la vue pour peut-être pas grand chose. J’aurais pu en rester là si ce fameux patronyme ne revenait pas sans cesse sur le tapis des lecteurs emballés. Alors c’est parti pour le petit dernier.

L’histoire : Nous suivons la vie de Romain, coincé depuis toujours dans ce qu’il nomme la zone grise (vous savez les places réservées aux gens compétents pour la médiocrité.) Il tentera avec plus ou moins de succès de s’en extraire, mais la fatalité a décidé de le poursuivre.

Et alors ? Un bon moment de lecture. Je n’avais lu aucun résumé, aucun avis. J’avais décidé (une fois n’est pas coutume) de me laisser déposée docilement au différentes escales plus ou moins sombres du roman : l’alcoolisme, le deuil, l’envie de s’en sortir, l’amitié. Je dois avouer que j’ai vu la finalité se dessiner à la moitié du livre, mais l’intérêt ne m’a pas quitté.

Roman écrit à la première personne, nous suivons Romain au plus près. Il nous agace parfois, il se rabaisse sans cesse, embourbé qu’il est dans sa zone grise. Son objet d’idolâtrie, sa compagne Elise. Elle titille la perfection à ses yeux. Alors évidemment pour moi c’est un peu agaçant, j’aime connaitre les défauts de chaque personnage, mais (l’auteur a le droit de me contredire.) à force de se sous estimer, Romain ne fait que surélever les proches prenant soin de lui.

Le style est travaillé. Quelques mots vous pousseront peut-être à utiliser le dico, surtout dans les premiers chapitres.  Une envie de se démarquer de la part de l’auteur? J’aurais envie de lui dire qu’il n’en a pas besoin, j’ai noté qu’il avait laissé quelques étincelles tout au long de l’histoire sans en avoir recours.

J’ai trouvé qu’il y avait peu de longueurs, allez juste le début d’histoire d’amour entre romain et Elise que j’ai trouvé un peu fleur bleue ou plutôt d’un rose trop éclatant (sans doute pour mieux nous asperger de violence ensuite, mais chut.)

Ce que j’ai aimé dans ‘Ceux qui ne renonçaient pas’, c’est que je ne suis pas foutue de le classer dans une catégorie, il va enjamber le roman noir pour frôler la romance et mieux nous raconter l’histoire d’un homme qui ne prend pas toujours les bonnes décisions pour sortir de sa condition.

En bref : Un très bon roman qui décrit une vie grise qui vire au noir.

Extraits :

C’est parce que j’étais un moins que rien que j’ai fréquenté les Sachems. De broutille, je me suis senti devenir visible en croyant rayonner à leur côté, sans être conscient que lorsqu’on progresse à côté des géants, on marche à l’ombre.

Fût un moment où nous nous demandâmes si ma convalescence aurait une fin. Certaines plaies ne se referment jamais. Si mon corps à grand coup de patience, se remettait d’aplomb peu à peu, ce n’était pas le cas de mon âme, toujours bleuie par l’acrimonie.

Des sentiments forts, malheureusement pas mutuels, nous unissaient. Le calme comme ciment, comme intérêt commun.

Petit oiseau du ciel- Joyce Carol Oates

Petit oiseau du ciel – Joyce Carol Oates – 2012

Pourquoi ? C’est l’un de mes préféré de Joyce Carol Oates, je l’ai ressorti de la bibliothèque, parce que j’avais envie de me loger à nouveau dans cette histoire, noire et fascinante.

L’histoire : C’est l’histoire d’une relation ambiguë, celle que tissent malgré eux Krista Dielh et Aaron Kruller. Ce qui les rapproche ? Leur père respectif, l’un l’amant et l’autre le mari de Zoé Kruller. Zoé c’est ce petit oiseau du ciel,  une jeune femme charmante, vendeuse de glace et chanteuse de groupe de country, mais c’est surtout une femme populaire- dans un périmètre assez restreint – qui a été retrouvée assassinée…. Les deux principaux suspects, je vous le donne en mille…. Eddy Dielh et Delray Kruller.

Et alors ? Du grand Oates, du détail à gogo, on décortique l’histoire jusqu’à la moelle. C’est un roman d’ambiance qui prend tout son temps, on s’invite dans la tête de personnage, dans leur vie, leur habitude, on a même l’impression de respirer leur haleine.

Rendez-vous donc dans la région des Adirondacks (que l’auteure exploitera à nouveau dans Mudwoman.) où évoluent dans le même groupe scolaire Krista et Aaron. Quelques années d’écart certes, mais les deux jeunes adolescents s’observent de loin, rattachés par ce qui les obligent à rester éloignés. Ils font  face  à l’onde de choc -l’assassinat de Zoé Kruller – chacun à leur manière.  La recherche d’un coupable qui tâche salement la famille Kruller (qui habite une réserve indienne.) et la famille Diehl (qui était pourtant promue à un destin sans vague.) Le meurtre de Zoé est raconté de deux points de vue différents, éclairés différemment. Krista et Aaron sont persuadés de l’innocence de leur père, mais cela ne les empêche de cultiver une fascination étrange l’un pour l’autre.

La lecture n’est pas forcément aisée, la chronologie n’est pas respectée, l’auteure peint ses personnages et se penche sur différentes parties du tableau, s’attardant sur certains éléments, puis sautillant sur un autre à sa guise. Il y a des phrases longues, des détails accumulés, parfois même répétés. Ce style irritera certains, personnellement,  je m’installe.

Quant au final, même s’il s’est dessiné dans mon esprit au fil des pages, il ne laisse pas de marbre.

En bref : Une plongée dans ce que j’appelle un vraie roman psychologique.

Extraits :

Le cendrier était plein de mégots, l’air puait la fumée de cigarette et le tabac froid, une odeur qui n’allait pas non plus dans cette maison. le visage de ma mère était brillant et bouffi, un rouge à lèvres fraichement appliqué luisait sur ses lèvres; comme si elle attendait de la visite ou que des visiteurs soient venus et repartis, ce qui aurait expliqué les assiettes dans l’évier, les mégots fumants dans le cendrier et cette atmosphère de malaise fiévreux qui vous tordait l’estomac.

Ma fascination pour la maison délabrée où Zoé Kruller était morte était aussi une fascination pour un endroit – interdit, jamais mentionné en famille – où mon père s’était rendu, comme il l’avait reconnu tardivement et à contre coeur.

Sans elle – Amélie Antoine Avec elle – Solène Bakowski

Avec elle et Sans elle de Solène Bakowski et Amélie Antoine

Pourquoi ? Le projet d’Amélie Antoine et Solène Bakowski  m’a interpellé. Alors à la base, je trouve ça irréalisable d’écrire à quatre mains, sauf qu’ici c’est différent. Ce sont les mêmes personnages, la même base, mais un infime détail, comme prendre le temps de faire ses lacets ou non, va changer la donne de toute une vie et donner naissance à deux romans distincts.

L’histoire :

Sans elle d’Amélie Antoine : Le soir du 14 juillet, Coline six ans est punie dans sa chambre, alors que sa soeur jumelle Jessica se rend aux feux d’artifice avec sa mère. Tout se passe bien, jusqu’à ce que la petite fasse son lacet, s’en va rejoindre un vendeur à la sauvette et disparait.

Avec elle de Solène Bakowski : Toujours ce même soir, sauf que Jessica ne prend pas le temps de nouer ses lacets et s’étale de tout son long aux pieds d’un homme qui activera le long déclin de la famille Simoëns.

Et alors ?

Sans elle : J’ai aimé le risque pris par Amélie Antoine. Je ne vais pas aller dans la précision au risque de spoiler, mais disons que l’auteure ne prend pas la trajectoire toute tracée qu’on attend dans ce genre de roman. Nous ne sommes pas dans un thriller glaçant avec des indices placés au compte goutte pour nous livrer la clé de l’énigme après avoir subi une série rebondissements. Non. Ici, le rythme n’est pas soutenu, même si des questionnements et l’envie d’en savoir davantage m’ont toujours poussée à tourner les pages. Dans le roman Sans elle, nous sommes surtout avec eux ; aux côté des parents, de la soeur, de la famille, de l’angoisse, des indices retenus puis disqualifiés, des fausses pistes, des espoirs écrasés et surtout l’attente et les questions qui finissent par faire croupir cette famille amputée.

Cet événement terrible ouvre les portes à la police bien sûr, mais pas que. La famille se retrouve continuellement perquisitionnée par les regards des autres dans sa propre intimité et dans son impossible reconstruction.

Le final interroge, frustre peut-être, mais sublime l’intention de l’auteure.

Alors mon seul bémol, un avis personnel qui n’engage que moi, c’est que j’aurais peut-être aimé un style moins lisse, peut-être plus rocailleux.

Avec elle :

J’ai choisi de lire le roman de Solène Bakowski après celui d’Amélie Antoine. Je me doutais que Sans elle allait être pesant parce qu’il traite de la disparition d’une enfant. Avec elle ne nous apporte pas non plus une bouffée d’oxygène… Il traite avant tout de la relation entre les jumelles Coline et Jessica face à l’étiolement de l’amour de leur parent, de la concurrence qui finit par naitre entre elles et d’un secret qui les lie autant qu’il les envenime. On se doute bien que ça va mal finir, mais nous n’allons pas directement droit dans le mur, on descend doucement vers la catastrophe en prenant quelques détours qui nous font croire que tout pourrait être sauvé.

Je pense que chaque lecteur en fonction de son ordre de lecture va porter un regard différent. Je ne vous cache pas qu’ici, j’ai eu une sacrée envie d’ouvrir les yeux de Patricia qui s’accapare de nouveaux problèmes, alors que Jessica est à ses côtés.

J’aurais juste aimé retrouver davantage la poésie sombre de Solène Bakowski, présente évidemment dans le roman, mais peut-être plus en retrait que dans son roman Un sac.

En bref : Une bonne idée de départ, développée avec soin par deux auteures qui aiment entretenir la connivence avec leurs lecteurs pour mieux les plonger dans le noir.