Petit Pays – Gaël Faye

Petit pays – Gaël Faye – 2016

Pourquoi ? Parce que j’ai souvent trouvé mon bonheur dans les prix Goncourt des lycéens et que deux, trois avis m’ont poussée à la lecture. A mon tour d’aller faire un tour dans ce petit pays !

L’histoire : Gabriel est en France depuis vingt ans déjà, exilé de son petit pays. Son petit pays, c’est le Burundi qu’il a dû quitter brutalement pour sa survie. Il revient sur sa douce enfance et sur la genèse d’une barbarie inhumaine.

Et alors ? Petit pays, c’est aussi un petit roman à peine 200 pages, mais costaud sur pas mal de points. Il m’a remis en mémoire une tranche d’histoire récente (vingt ans sur une frise historique c’est un grain de poussière.) : la guerre civile qui s’est emparée du Burundi et a bousillé toute une population parce qu’une ethnie voulait prendre l’avantage sur l’autre.

L’aspect historique et politique est vu par un enfant qui tente de comprendre le monde des adultes. Par la naïveté du jeune Gaby s’extrait toute l’absurdité du conflit. Une histoire de nez agite deux ethnies, veut expliquer le père de Gabriel, mais le petit garçon a vite saisi que Le fond de l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait, on pouvait le sentir.

J’ai trouvé les premières pages magnifiques. L’humeur sombre de Gabriel, un expatrié cherchant encore sa place qui ne se fond pas avec facilité à la vie parisienne, mais s’en accommode.

Les souvenirs de bonheur passé occupe une large place dans le roman. L’arrivée de la guerre civile est distillée entre deux douceurs.

Le style est délicat, simple. Peu de violence, l’auteur épargne au lecteur de la barbarie des génocides, même si quelques passages (sans aller trop loin dans l’horreur.) sont glaçants.

Allez maintenant je vais juste soulever mon petit bémol. Peut-être que j’en ai trop attendu ? Mais malgré les grandes qualités du roman, j’avais l’impression d’être sur un chemin balisé. La nostalgie heureuse de l’enfance, les bons copains, les petites anecdotes sympas, la montée progressive du conflit, la découverte de la passion salvatrice… Bon c’est juste un ressenti….

En bref : Un roman qui mérite d’être entre toutes les mains.

Extraits : 

Ma peau caramel est souvent sommée de montrer patte blanche en déclinant son pedigree.

A coup sûr, un pauvre gars avait voulu faire son intéressant après avoir regardé un film de Clint Eastwood, un après-midi, au ciné Caméo, et en un rien de temps cette mode s’était propagée dans toute la ville comme une traînée de poudre. A Bujumbura, il y a deux choses qui vont vite, la rumeur et la mode.

Je trouvais le silence bien plus angoissant que le bruit des coups de feu. le silence fomente des violences à l’arme blanche et des intrusions nocturnes qu’on ne sent pas venir à soi.

Le carnaval des illusions – Jo Rouxinol

(4,5 / 5)

Pourquoi ? Jo Rouxinol, c’est une auteure que j’avais repérée dans le groupe de lecture Accro aux livres. Elle avait souvent la réplique constructive pour apaiser certaines tensions littéraires (si si parfois il y en a !) J’apprends alors qu’elle a publié deux romans sur Kindle… de qualité j’entends dire. Je choisis donc de commencer par La carnaval des illusions. Go !

L’histoire : Eva prépare son CAPES, et pour tester sa motivation et sa résistance, elle est pionne dans un collègue de banlieue parisienne. La roman suit l’étudiante dans son rôle de surveillante, avec en écho les souvenirs d’une expérience amoureuse qui l’a fait traverser l’océan pour une immersion au Brésil et plus précisément à Rio dans une association qui oeuvre pour les jeunes des favelas.

Et alors ? Le lecteur est interpellé dès la première phrase “Sale pute, je vais te niquer, wesh !” Et c’est là la force du livre, on plonge directement dans une ambiance, aussi bien dans les couloirs d’un collège que dans les favelas de Rio.

Nous faisons d’abord la connaissance de quelques élèves, certains fortement dissipés avec leurs vies complexes qui se s’emboitent pas dans l’exigence scolaire. En face d’eux on y retrouve le malaise des jeunes professeurs directement jetés dans l’arène. Des rapports tumultueux aggravés par la violence du cyber harcèlement. Autant de sujets qui sont traités avec une plume photographique (là je pompe sur Kalya Ousmane qui a aussi chroniqué Jo Rouxinol) Une plume qui se veut sans jugement, sans violence, mais qui rend le lecteur encore plus sensible à l’histoire.

Et puis il y a la vie au Brésil, le prolongement d’une histoire d’amour née lors d’un concert à Paris. Eva goûte au paradis sur les plages de Rio, avant d’en percevoir les artères de la misère, et cette injustice tolérée dans les favelas pour le bien du touriste.

A travers la foule de personnages qu’elle rencontre, Eva cherche à aider, aimer, croire en l’humain, elle qui a une famille rétrécie par des départs précipités.

Je ne pense pas me tromper en disant qu’il y a beaucoup de l’auteure dans ce roman. Ce qui explique parfois que le style se modère, qu’il pourrait donner davantage encore. Et c’est pour cette raison que je suis impatiente de retrouver Jo Rouxinol dans une fiction.

En bref : Le carnaval des illusions, c’est Eva et le flot des personnages qui gravitent autour d’elle, qui vivent, s’aiment, veulent y croire et subissent, douloureusement, l’arrêt brutal de la fête.
Il ne faut cependant pas croire à un roman pessimiste. J’ai davantage perçu une envie de se reconstruire coûte que coûte.

Où trouver Le carnaval des illusions ?

https://www.amazon.fr/carnaval-illusions-Jo-Rouxinol-ebook/dp/B01IYISJHK

Extraits :

C’est une toute jeune femme, elle doit avoir 25 ans, mais son être cristallise l’essence professorale dans ce qu’il a de plus caricatural. Un professeur surgi du fond des âges, empli d’un savoir colossal et poussiéreux, si lourd qu’il leste l’esprit et l’entraine comme une pierre dans l’abîme de l’ennui.

Je traque es signes d’une joie qui s’amenuise, les étoiles dans les yeux qui s’éteignent, rien d’inquiétant au début, juste une ou deux dont l’absence d’éclat passe inaperçu, j’essaie de débusquer les traces d’un enthousiasme moins flagrant pour nos promenades ou pour nos conversations, mais jusqu’au bout elles demeurèrent entrecoupées, de digressions, d’éclats de rire et de gaies chamailleries.

Depuis que la police pacificatrice s’était installée dans les bidonvilles, ceux-ci avaient été envahis par les organisateurs d’événements par les touristes, la bourgeoisie carioca de la zone sud qui se barricade volontiers derrière des résidences ultra fermées mais qui aiment investir des territoires plus pauvres le temps d’une nuit festive.

Rosa Candida – Audur Ava Olafsdottir

(3 / 5)

Pourquoi ? J’ai honte mais j’assume. La couverture, ses couleurs, ses motifs, sa texture. Une collection qui tient bien en main, et comme on me promet que quelques milliers de lecteurs ont été séduits, alors pourquoi pas moi ?

L’histoire : Lobbi quitte son pays natal pour s’occuper du roseraie d’un monastère. Il laisse derrière lui, un père récemment veuf, un frère autiste, sans oublier la compagne d’une nuit qui lui a donné une petite fille.

Et alors ? Séduite par le style de l’auteur, fluide, avec de petites touches d’humour. C’est un livre pour les amateurs de lecture tranquille, on se pose quelques questions, on jardine, on rencontre des personnages, on déterre quelques souvenirs douloureux, et puis on se pose des questions. Peut-être trop … Séduite par le première moitié, la dernière étape fut un peu plus pénible. Je sais la mère exemplaire que je suis aurais dû s’émerveiller du rapport père-enfant qui unit notre Lobbi à sa petite fille, mais il n’y a que du mielleux qui sort, et là je n’y crois plus. Il me semble qu’ils tournent tous beaucoup autour d’eux-mêmes et cherchent désespérément des complications. Je suis peut-être trop vieille pour ce genre de roman…

En bref : Roman d’initiation, charmant, mais trop mielleux pour le final.

Extraits : 

Il me faut pas mal de temps pour convaincre mon père, à qui il manque trois ans pour être octogénaire et qui veut prendre l’avion avec son fils handicapé, que je n’ai besoin de personne pour s’occuper de moi.

Ce n’est pourtant pas comme si j’avouais mes péchés ou quelque chose comme ça, dans l’attente de recevoir l’absolution. Ce n’est pas non plus que je sois en quête des conseils d’un homme dont l’expérience a été acquise à l’écoute de tout et de rien, c’est plutôt que je vide mon sac auprès de mon voisin et ami de chambre d’à côté.

Petite soeur mon amour – Joyce Carol Oates

Petite Soeur mon amour – Joyce Carol Oates – 2008
(4,5 / 5)

Pourquoi ? Parce que Joyce Carol Oates qui tricote minutieusement autour d’un sordide fait divers ne pouvait qu’attirer mon attention. Et c’est parti !

L’histoire : Une trop jeune princesse de la glace se fait assassiner. L’enquête patine (désolée pour le jeu de mot) et les tabloïds glissent sur l’affaire pour vendre. Une terrible occasion pour l’écrivain américain de salir tout ce petit monde qui gravite autour de notre jeune victime : parents, organisateurs de concours, médias, tous ces adultes qui exploitent les enfants pour briller par procuration…

Et alors ? Une histoire qui ne nous laisse pas de glace (je vous promets c’est le dernier jeu de mots) Plus sérieusement, avant de s’attaquer à ce pavé, il convient de parler de ce fait divers qui a servi de petite graine pour l’imagination fertile de Madame Oates. En 1996 une mini miss  est retrouvée morte, ligotée et violentée dans la cave de la maison familiale. L’affaire ne sera jamais résolue. Oates s’empare de ce point de départ pour nous donner sa version à elle. Dérangeant évidemment, puisque l’auteur nous offre une fin à une affaire non résolue ! Mais cette histoire, dont les racine proviennent de faits réels et qui sont par la suite trafiqués, rafistolés, agencés pour faire nous livrer une oeuvre militante et terriblement cynique.

C’est par le regard de Slyler, le frère ainé, que nous est servi l’anatomie du drame. Ses pensées sont parfois hachées, répétitives. Certains chapitres se résument à une phrase, une pensée, une remarque. Il y a de nombreuses phrases longues, décousues, avec un recours à l’annotation pour nous abreuver de détails. La ponctuation est quant à elle largement utilisée, sous toutes ses formes. Une parfaite illustration de l’esprit dérangé du narrateur qui parfois s’embrouille et s’en excuse. Est-il lui même au courant de tout ? Est-il bien conscient de tout ? Il regarde de loin ces adultes qui cherchent leur propre gloire au travers de leurs enfants.

En bref : Oeuvre glaçante sur les enfants star, miroir inconscient des rêves d’adultes.

Extraits :

Au lieu de la vilaine et quelconque Edna Louise, ce fut Bliss, belle et transfigurée, qui fit ses début dans le patinage, âgée de quatre ans, à la patinoire Meadowlands par un soir de neige et de vent, le jour de la Saint Valentin 1994. Maman pleura de reconnaissance quand les responsables de bouts de chou acceptèrent de procéder à un changement de nom de dernière minute moyennant une simple amende de cinquante dollars.

Ce matin-là, sachant apparemment qu’il ne se retournerait jamais dans l’école privée ‘prestigieuse’ ‘fermée ‘ où Skyler avait -enfin !-  acquis la réputation d’être, sinon ‘normal’ du moins pas incurablement ‘bizarre’ : car l’éclat de la célébrité de sa soeur projetait sur lui une lueur lunaire flatteuse, et il était devenu courant que les filles les plus populaires de l’école […] l’abordent pour lui poser des questions passionnées sur Bliss. Sans parler de l’éclat additionnel de la distinction HPI, qu’il allait perdre à jamais.

Un paquebot dans les arbres – Valentine Goby

Un paquebot dans les arbres – Valentine Goby – 2016
[usr:4]

Pourquoi ? : Parce que je suis toujours obligée de piquer les cadeaux que j’offre à ma mère. Puis lecture conseillée par la Lison, je dis on lit !

L’histoire : La tuberculose, la maladie et la méfiance qu’elle engendre, va bouleverser la vie d’une famille dans les années 50. Alors que la population croit au meilleur avec la fin de la guerre, la création d’une sécurité sociale et la période des Trente glorieuses qui se profile, la famille Blanc se retrouvera dépossédée, démembrée, car n’ayant jamais cotisé.

Et alors ? Ecriture brillante. Le genre de livre qui nous donne envie de noter la poésie percutante déversée tout au long des 250 pages. Roman court donc, mais qui fait son poids. Rapidement dans l’histoire nous subissons le désespoir d’une famille qui occupait le premier plan du village, et se retrouve mise à l’écart par crainte de contagion. La tuberculose, la peste blanche.

Malgré un style qui m’a bluffé pour la première partie, j’ai trouvé que par la suite, les jolies phrases prenaient trop de place, distillées en continu, le dernier tiers m’a un peu lassé. Pas vraiment d’action, peu de dialogue, on dirait davantage une succession de tableaux. Certains pourraient se sentir extérieur aux personnages, même si on ne peut rien reprocher aux qualités d’écriture de Valentine Goby

Quant à la couverture, elle est trompeuse. On pense que l’histoire offre des notes de joies, d’espoir, mais il s’agit avant tout de la lutte terrible d’une jeune fille qui veut réunir sa famille et gagner sa liberté. Or ses deux souhaits se combattent, puisque pour réaliser l’un il faut détruire l’autre.

En bref : Pour les amoureux de jolies phrases qui n’ont pas peur de la tristesse.

Extraits :

Le chuchotement trahit le secret, tous les enfants le savent. […] si le mot est prononcé du bout des lèvres, c’est qu’il ne faut pas le répandre. Elle a raison sans le savoir, la petite, le bacille doit être contenu ; qui sait si Odile ne dit pas le mot tout bas pour réduire son pouvoir de nuisance.

C’est un homme comme ça, honnête jusqu’au tréfonds. mais elle ne peut pas croire, voyant son visage rond, ses grosses mains aux ongles propres, le généreux gâteau aux pommes sous cloche à fromage, qu’il préfère l’honnêteté au malheur.

Le ventre d’Annie. Il la tient à distance de toute contrainte autre que lui, arme, armure, frontière, rempart, abri. Annie est intouchable car elle va être mère. Son ventre est une permission de supplémentaire contre laquelle tout reproche se fracasse. La grossesse est une île.

Invisible sous la lumière – Carrie Snyder

invisible sous la lumière, Carrie Snyder
Invisible sous la lumière – Carrie Snyder – 2016
(3,5 / 5)

Pourquoi ? Parce que pour récompenser ma fidélité chez mes sympathiques libraires de la Lison, je reçois un livre. Alors allons y.

L’histoire : Une centenaire se fait gentiment kidnappée par des soi disants journalistes. L’occasion pour elle de faire des allers-retours dans ses souvenirs et nous livrer l’histoire de sa vie ; une femme qui court dans les années 1920.

Et alors : Style agréable, portrait qui attire ; on se demande même si Aganetha Smart a bel et bien existé. De nombreux thèmes balayés qui rendent la lecture attractive : la guerre en toile de fond, le droit des femmes et leur légitimité dans le monde du sport, l’avortement. Ma lecture a toutefois été inégale, avec des passages qui j’ai dévorés, d’autres qui favorisaient mon détachement. Peut-être que le point noir du livre, ce sont les multiples allers retours dans le temps, parfois désordonnés, qui même s’ils ne nuisent pas à la compréhension, la rendent moins aisée. Pourtant, je suis plutôt adepte de cette façon de faire qui permettent de tenir en haleine, mais ici la linéarité m’a manquée. Les personnages sont nombreux, alors des bonds dans un sens comme dans l’autre, on s’embrouille facilement.

En bref : Si vous aimez les portraits de femmes, avec un côté historique.

Extrait : 

Je cours, je cours, je cours jusqu’à perdre le compte des tours, jusqu’à ce que la lourde tresse qui bat mon dos soit trempée, imbibée de sueur. Les os de mes hanches, de mes genoux et de mes chevilles me font mal à chaque pas dans la terre molle et l’herbe tendre ; mes halètements me déchirent la gorge, si bruyants qu’ils finissent par alerter mon père.

Les chutes – Joyce Carol Oates

Les Chutes, Joyce Carol oates
Les chutes – Joyce Carol Oates – 2004
(4 / 5)

Pourquoi ? Parce que Joyce Carol Oates, parce que prix Fémina étranger, et qu’on me promet que c’est un bon cru, alors on y va !

L’histoire : Le mari d’Ariah décide judicieusement de se laisser engloutir par la fureur des chutes du Niagara le lendemain de leur nuit de noces. Cette tragédie apporte à notre jeune veuve une étrange popularité. Elle devient la veuve blanche qui retrouvera un peu trop joyeusement l’amour dans les bras d’un brillant et séduisant avocat. Je n’en dis pas plus…

Et alors  ? Amateur de madame Oates, vous pouvez absolument vous jeter dedans. Il faut aimer le rythme de l’écrivain, lent, un tourbillon de détails, des personnages, même secondaires décortiqués de façon quasi chirurgicale. Il faut aussi accepter d’opérer quelques virages dans la lecture ; quitter un personnage pour s’attarder sur un autre, rester dans la même cellule familiale, mais en ayant accès à une nouvelle version. C’est l’histoire d’une vie, c’est linéaire, et le scénario prend des détours que nous lecteurs nous n’avions pas prévu.

En bref : Si vous aimez prendre votre temps, rentrer entièrement dans une ambiance, un décor, et se laisser en quelque sorte dérouté, allez y.

Extrait : 

Ils se marièrent et habitèrent le 7, Luna Park, la maison de Dirk Burnaby, où il apparut peu à peu à Ariah que d’autres femmes lui avaient rendu visite de temps à autres, sans toutefois y demeurer. Elle le sut parce que des voisines s’en chargèrent de le lui apprendre.